«Ce qui n’est pas utile à la ruche, ne l’est pas non plus à l’abeille»
Pensées pour moi-même,Marc-Aurèle
La philosophie s’interroge couramment sur ce que devrait être «une vie bonne» pour un individu. Qu’en est-il de «la vie bonne» d’une société ? Quels fondements moraux et philosophiques et quels comportements sociaux concrets pourraient faire dire à une majorité de personnes «nous vivons dans une bonne société» ?
Commençons par étudier les postures et les choix du vieux monde.
Des relations toxiques
Outre de provoquer les crises économique, écologique, sociale et politique que l’on connaît, les postures et les choix de l’homme moderne l’ont peu à peu déshumanisé, étouffant ses vertus morales et spirituelles. Les sociétés sont devenues des agrégats d’individus disparates, entre lesquels se sont instaurés, en guise de relations, des rapports toxiques mutuels de méfiance, de violence, de critique et de peur. Comment ré-enchanter les relations et redonner de l’âme à la vie en société ?
Une insoutenable démesure
Démesure dans notre rapport à la nature : si la population mondiale voulait adopter le style de vie occidental, il faudrait l’équivalent de quatre planètes pour satisfaire tous les besoins de consommation. L’activité de l’homme provoque un dérèglement climatique et des atteintes telles à la biodiversité, que l’on parle aujourd’hui d’un risque d’une sixième grande extinction, provoquée cette fois par l’homme (1).
Démesure dans les rapports des hommes entre eux : l’Organisation des Nations unies (O.N.U) a établi que la fortune personnelle de 225 personnes serait égale au revenu cumulé de 2,5 milliards d’êtres humains (2).
De nouveaux problèmes en guise de solution
Nous admettons sans sourciller, que certaines personnes ont le droit de jouir du bonheur, de recevoir la considération de tous, de vivre dans le confort et le luxe, et que d’autres ne l’ont pas. Et pour régler nos problèmes, nous n’hésitons pas à en créer aux autres.
Démesure dans nos rapports à l’autorité politique : les crises provoquent des réactions de repli autoritaristes où l’on peut voir ressurgir tous les va-t-en-guerre prompts à dresser les uns contre les autres, comme on a pu le constater depuis la guerre du Golfe et avec tous les fanatismes qui renaissent de partout.
Utile ou essentiel ?
Le modèle occidental, aujourd’hui mondialisé, a engendré des individus calculateurs, utilitaristes et indifférents les uns aux autres. Chacun cherche son propre avantage, et oriente ses choix, ses décisions et ses relations autour d’une question centrale «à quoi cela me sert-il ?». Bien sûr, l’utilité et la recherche d’efficacité sont légitimes et amènent la société vers le progrès, mais elles ne peuvent être au centre de ce qui fonde une société. Il est important d’associer à l’utilité la question du sens de la vie. L’homme moderne a sacrifié l’essentiel – le sacré, l’amitié, le temps de vivre, la vie intérieure – à l’utile.
La machine a vaincu l’homme
Nous vivons dans une civilisation technologique, une civilisation de machines. La machine a outrepassé ses droits. De moyen, elle est devenue une fin. Nos vies se sont mécanisées. À l’origine, les machines ont été conçues pour fonctionner sans se faire remarquer et pour s’effacer devant l’essentiel : aider l’homme à libérer du temps et de l’énergie pour s’occuper de son corps, de son âme, de son esprit, se cultiver, réfléchir, partager et créer. Au lieu de cela, elles l’ont transformé en objet et l’ont rendu prisonnier des objets qui envahissent sa vie.
La vie, une gigantesque fête foraine ?
La démesure, l’utilitarisme, la chosification, ont provoqué un mal de vivre omniprésent. On ne s’est jamais autant ennuyé au milieu de tant de distractions. La vie est devenue une gigantesque fête foraine. L’homme ne sait plus quoi faire avec lui-même ni avec les autres. Il est face à un vide. Il est tellement sollicité par l’extérieur, qu’il n’a plus ni l’imagination ni le temps de créer sa propre vie, ni celui de construire la société avec les autres.
Plus qu’une réforme, une révolution !
Notre société doit retrouver cette qualité intérieure, cette profondeur, cette dimension et cette beauté que l’on associe au mot «âme» et au ré-enchantement.
Nous n’avons pas besoin de réformes mais d’une véritable révolution de pensée et d’une révision radicale de nos comportements. Il nous faut changer de vision, d’éthique, et de manière de vivre ensemble. Cela est possible et souhaitable à la fois.
Comme le dit Mathieu Ricard «nous devons passer d’une culture qui prône l’individualisme et le chacun pour soi, à une culture de l’altruisme et de la coopération.»
Le choix de la simplicité
Notre société commence à remettre en œuvre la mesure, l’équilibre, la justice, valeurs si chères aux sociétés traditionnelles. Citons par exemple les expériences menées par les écologistes altermondialistes de terrain comme Pierre Rabhi et le Colibri en France ou Vandana Shiva en Inde… Ils bouleversent les systèmes de production et de distribution industriels et mettent en avant des systèmes locaux prônant la simplicité, «la sobriété heureuse», «l’abondance frugale». Si nous le voulons vraiment, nous pouvons faire ce choix dans tous les domaines de la vie en société : nourriture, habitation, travail, culture…
L’amitié pour coopérer
«L’amitié est le principal fondement de la société» disait Aristote dans l’Éthique à Nicomaque. Pour retrouver une véritable société, il est essentiel que les hommes réapprennent le sens du «bien vivre ensemble» et avec la nature. Et qu’ils comprennent la responsabilité que veut dire «faire partie de». Cela implique la nécessité de s’engager dans la cité et envers la nature et de s’associer pour coopérer. Prendre part aux affaires de la cité, expérimenter la vie collective est indispensable pour vivre la fraternité et l’amitié, et construire un module de transition. Le bien vivre ensemble se pratique avec des actes, et sans exclure qui que ce soit.
Pratiquer pour se transformer
La transition passe par une nouvelle forme d’éducation. L’éducation de transition est moins intellectuelle et plus pratique. Elle apprend à l’homme à se transformer, à se modérer, à orienter sa quête vers l’être et non vers l’avoir. L’homme de transition développe une force morale et libère sa créativité. Il apprend à gérer les conflits pour agir avec les autres. Il apprend à éveiller la dimension supérieure de l’âme, celle qui peut percevoir le sacré dans toute chose, et l’essentiel de la vie. Sans cette dimension vécue en conscience, il n’y aura ni transition, ni renouveau.
Faire sa part
Chacun d’entre nous est puissant, s’il accepte, comme le dit Pierre Rabhi, de faire sa part, là où il est. Il n’y a pas une seule manière de faire. Les finalités et les valeurs sont communes, mais les solutions sont multiples et peuvent provenir de n’importe quel endroit et de n’importe quel individu ou groupe. La clef d’une société de transition est l’interaction et l’interconnexion positives entre les individus, qui libèrent l’imagination et la créativité de chacun d’entre eux. Dans ce modèle de société, rien n’est figé, tout se recrée en permanence.
Nous sommes à un moment crucial de notre histoire, où notre destin individuel et collectif dépend de nos choix. Les hommes de transition ont choisi de vivre le retour à la sagesse, à l’engagement, à la capacité d’agir ensemble, à l’amitié fraternelle, qui sont les graines essentielles à faire germer, pour pouvoir dire «nous vivons ensemble dans une bonne société».
Françoise BÉCHET
Présidente de Nouvelle Acropole à Rouen
(1) À lire
(2) Rapport de l’ONU de 2009 pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)
Bibliographie :
©FDNA
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