Les cathédrales sont un témoignage éblouissant du mariage sacré entre le visible et l’invisible, l’homme et le Divin et l’univers et l’homme.
«Le Temple n’est pas seulement une image réaliste du monde, mais bien plus encore, une image structurale, c’est-à-dire qu’il reproduit la structure intime et mathématique de l’univers». Ces quelques lignes, extraites du livre de Jean Hani, Le symbolisme du temple chrétien (1) résument la fonction de la cathédrale : un espace de dimension humaine, reproduisant une image réduite de la Création, soit les trois niveaux qui composent l’univers, le Ciel, la Terre et le monde souterrain. De la même manière que l’homme est aussi un univers en miniature composé de trois niveaux : l’Esprit, l’Âme et le Corps.
Médiatrice entre Dieu et les hommes
La cathédrale sera le monde et l’homme à la fois, elle agira comme un pont, reliant l’infiniment grand à l’infiniment petit, l’Homme à son créateur, elle jouera le rôle de médiatrice. Ainsi s’établit la même relation ternaire entre l’Homme, le Temple et le Monde.
La cathédrale peut donc être considérée comme une re-création du monde, et les lois qui gouvernent sa construction, depuis le plan jusqu’au choix de la date de la pose de la première pierre, sont identiques à celles qui ont permis à l’univers de se manifester.
Cette composition ternaire s’exprime dans l’édifice à la fois dans les plans vertical et horizontal.
Dans le plan horizontal, au sol, on retrouve le chœur (le Ciel), le transept (la Terre) et la nef (le monde souterrain) ; dans le plan vertical, les voûtes (le Ciel), le sol (la Terre) et la crypte (le monde souterrain) ; enfin, sur les façades, les flèches, les rosaces et les vitraux reproduisent le même modèle structural.
L’émergence de la vie sous-terre
Le monde souterrain est à la fois le siège des puissances de l’Enfer et des puissances stellaires, qui préexistent à notre monde terrestre. Ce milieu ténébreux qui a permis à la lumière de naître régit l’émergence de la vie. C’est là que se nourrissent les racines des êtres.
La graine plantée sous terre germe grâce à l’énergie circulant dans le sol qui lui est apportée.
Ces forces invisibles sont représentées par la Vierge Noire, à qui sont attribuées toutes les qualités du monde souterrain. Ces vierges sont généralement vénérées dans les cryptes des églises, comme au Puy ou à Chartres, entre autre.
La crypte, résurrection et transmutation
Historiquement, le sanctuaire souterrain, sorte de grotte ou de caverne, est le lieu de culte des premiers chrétiens pourchassés. Ils y établirent leurs rites, afin d’être à l’abri des regards. De ce centre souterrain a germé par la suite toute la chrétienté.
La crypte, milieu sombre et humide, est liée aux mystères de la résurrection et de la transmutation. Elle présente la matrice de la vie et rappelle la fonction des grottes sacrées des religions primitives, vouées au culte de la Déesse Mère.
Bien que l’usage de la crypte dans la liturgie judéo-chrétienne soit peu connue, on lui attribue des fonctions initiatiques. Elle est propice à une deuxième gestation de l’homme dans le sein même de la terre. La sortie de la crypte à la lumière du jour est alors assimilable à la naissance à la vie spirituelle. Elle représente aussi le monde des morts ou des ancêtres qui détiennent le secret du passage de la vie vers la mort, ou de la mort vers la vie.
Le labyrinthe
Symboliquement, le monde souterrain peut-être également associé au labyrinthe. Dans ce cas, il est conçu à même le sol, et non plus enfoui dans la terre. Certains labyrinthes ont des couloirs qui finissent en cul-de-sac, dans le but d’égarer celui qui s’y est engagé. Le plus connu est celui de Chartres, nommé le «lieu de Jérusalem», dont le diamètre mesure 12,87 mètres. Une vieille légende rapporte que, lorsque les Lieux saints devinrent inaccessibles, le pèlerinage à Jérusalem aurait été remplacé symboliquement par le parcours à genoux de ce tracé complexe. Il fallait par exemple plus d’une heure pour accomplir le parcours du labyrinthe de Sens (dix mètres de diamètre), détruit en 1768.
La Terre, l’incarnation de la vie
L’incarnation se réalise sur terre, lieu des montagnes, des fleuves, du vent, de la pluie, c’est-à-dire la nature dans son ensemble avec les éléments. La terre est l’habitat humain.
Cependant, l’homme possède en réalité trois habitats distincts qui sont les trois mondes de l’univers :
– La matière première se trouve sous la terre, avec les métaux, les sels minéraux ; c’est là aussi que le corps physique de l’homme retourne après son séjour sur terre.
– La surface du sol, lieu de la vie terrestre, est le siège de l’âme incarnée. Ce milieu apporte les aliments et les énergies nécessaires à l’alimentation et au mouvement.
– Le Ciel enfin régit le monde des principes. C’est la demeure de l’Esprit.
C’est du sol de la cathédrale que les colonnes sortent, poussent et fleurissent sous forme de vitraux et de rosaces. Cet espace est celui du culte, ou de la culture du jardin cosmique, le Paradis des Écritures. C’est le monde de la dualité, de l’alternance des contraires, symbolisée par les dalles noires et blanches qui composent le damier du sol. C’est là que l’homme se confronte à la collectivité et affronte l’adversité de la vie.
Au sol, l’homme parcourt également les trois niveaux : partant de la nef, réplique du monde souterrain, il passe par la croisée qui correspond au monde du milieu, pour atteindre le chœur, seule partie courbe du plan au sol, qui reproduit l’image de la voûte céleste.
Le Ciel, monde du spirituel et de la divinité
Siège de la lumière, des puissances solaires et de la divinité, le Ciel évoque la Jérusalem céleste. Monde diurne qui régit l’accomplissement spirituel, il s’incarne dans la voûte, Ciel de la cathédrale. C’est là que l’on retrouve la cohésion de la construction, grâce aux clés qui concentrent et diffusent les forces dans les colonnes, à l’image du Ciel qui répand ses principes sur la terre. Comme une barque renversée, comme l’arche en quête du Mont Ararat, la nef navigue dans le Ciel.
Ainsi, la cathédrale est-elle à l’image de la création du monde et les lois qui ont présidé à sa construction sont celles-là mêmes qui ont permis à l’univers de se manifester. Mais les bâtisseurs iront encore plus loin en assimilant la cathédrale à l’homme cosmique, symbolisé dans l’image du Christ et sa lumière.
(1) Jean Hani, Symbolisme du temple chrétien, éditions Véga, 2005
Article extrait de Symbolique des cathédrales, visages de la vierge, Fernand Schwarz, éditions du Huitième jour, 2002
Fernand Schwarz